Sans doute en va-t-il de l’art comme de la magie : au cœur de la Tapisserie d’Aubusson, en tous cas, vibrent les secrets et les termes empreints de mystère dont seuls les « initiés », les lissiers, sont à même de saisir le sens.
Flûte, chapelet, bolduc, tombée de métier, assortiment… passée. Par la « passée », le lissier désigne le passage de la flûte à travers les fils du métier… Et le profane découvre, consterné, que ce sont plusieurs milliers de passées qui, en se succédant les unes après les autres, composent peu à peu la trame de l’œuvre à laquelle le lissier s’attelle et qui va l’occuper plusieurs semaines durant, ou même plusieurs mois : en effet, une tapisserie exécutée dans les règles de l’art avance à peine au rythme d’un mètre carré par mois… voire même de cinquante centimètres carré ! L’affaire, donc, est loin d’être mince et parmi les qualités que requiert l’art du lissier, il s’agit tout naturellement d’évoquer en premier lieu une patience d’or, mais aussi un souci constant du détail, de la conformité avec la tradition
La « passée », dans ce contexte précis, résonne étrangement à nos oreilles, et semble vouloir nous confier un secret, ou juste nous rappeler que le lissier, en tant qu’initié à ce savoir-faire ancien, ne détient pas seulement de l’un des patrimoines de l’humanité, inscrit depuis 2009 au Patrimoine Mondial de l’Unesco… mais qu’il est également le gardien d’un héritage précieux et singulier. Peut-être même peut-on considérer qu’incarne une passerelle entre deux rives du temps, le métier à tisser devenant le point précis – aujourd’hui – où se combinent pêle-mêle toutes les traditions, tous les instruments, toutes les couleurs, toutes les sources d’inspiration… toutes les possibilités que peut offrir un art en perpétuel mouvement.
Tête penchée sur l’œuvre en cours, mains courant sur le métier, jambes actionnant les pédales : c’est l’être tout entier du lissier qui, inspiré et initié par les méthodes d’hier, recueilli avec attention dans le présent, se tend en direction de demain.
Comment, à partir d’une idée, d’une inspiration (la maquette, le carton)… une oeuvre peut-elle émerger dans sa forme aboutie, savamment et prodigieusement construite ? Par quels mécanismes secrets et fascinants une tapisserie d’Aubusson se matérialise t’elle de la sorte, rejoignant par là même l’édifice, somptueux et authentique, du Patrimoine de l’Humanité ?
Nous voilà plongés au cœur même du mystère de la création artistique, et des processus subtils qui y mènent.